mercredi 14 janvier 2015

Les mesures anti-terroristes du gouvernement : un cataplasme sur une jambe de bois?

Lors de son intervention devant l'Assemblée nationale, le Premier ministre français, M. Manuel Vals, s'étranglant d'indignation, a fait l'annonce de différentes mesures destinées à rendre plus efficace la lutte contre le terrorisme.

Le discours du Premier ministre a suscité chez les députés émotion et enthousiasme, au point que les élus ont entonné la Marseillaise, et que certains ont même pleuré. Le fait que des députés français chantent dans l'hémicycle l'hymne national français a paru tellement exceptionnel que la presse, unanime, a pu souligner cet étonnant élan de patriotisme.

Les mesures prises par le gouvernement français sont à présent connues. Il s'agit pour l'essentiel de mesures policières que l'on ne peut qu'approuver, et dont on reste seulement étonné qu'elles n'aient pas été adoptées plus tôt, car enfin, le terrorisme n'est pas né hier, et il s'est à de nombreuses reprises manifesté sur le territoire français.

L'objectivité contraint à dire qu'évoquer les possibilités d'une éradication complète du terrorisme relève du charlatanisme, et s'avère aussi vain que de rêver à une disparition totale de la criminalité, tant ces phénomènes tiennent à la nature même de nos sociétés et de l'individu.

Derrière la rapidité de la réaction présidentielle et gouvernementale, qualifiée presque unanimement de remarquable par les commentateurs et les acteurs de la scène politique, se profile malheureusement une absence presque totale de réflexion sur les causes anciennes et profondes du terrorisme.

La réflexion est toute aussi absente de l'analyse des causes des attentats de la semaine dernière, attentats qui ont été présentés, dans une propagande martelée par la presse, comme une atteinte à la liberté d'expression, et qui ont entraîné une manifestation d"'unité nationale", composée de tous les "Je suis Charlie" mobilisables, acceptant de défiler derrière un aréopage bien protégé de chefs d'Etat, de ministres, d'ambassadeurs, de personnalités dont on a feint d'oublier que pour certains, ils ont pratiqué ou pratiquent encore le terrorisme.

Si elle a été le prétexte des attentats de la semaine dernière, la publication des caricatures de Mahomet, n'est de toute évidence pas la cause d'un terrorisme qui sévit depuis des dizaines d'années.

Force est pourtant de constater une singularité.

La publication des caricatures de Mahomet a en effet suscité, de la part d'extrémistes se réclamant d'un Islam fanatique, des assassinats et une réaction de violence et de haine  sans comparaison avec l'indignation somme toute et fort heureusement mesurée que des dessins tout aussi injurieux à l'égard de l'église catholique et des rabbins avaient entraînée.

Comment dès lors expliquer et comprendre les raisons d'une telle différence dans les réactions de croyants, ou de personnes se réclamant de croyances religieuses différentes? Les Musulmans constitueraient-ils, par nature, une communauté plus dangereuse que les autres religions?

Pour ne pas répondre à cette question qu'il est sans doute malséant de poser, le premier et le meilleur moyen est sans doute de ne pas la poser. C'est ce que font très généralement les médias et les politiciens.

Le second moyen consiste à soutenir que les terroristes n'étaient pas de vrais musulmans, qu'ils ne pouvaient qu'avoir une vision fausse, déformée de l'Islam, éloignée de la religion d'amour que serait l'Islam et que dès lors, il n'y a pas lieu de s'attarder sur cette question. On aimerait qu'il en soit ainsi.

D'autres, sous prétexte de ne pas vouloir se voiler hypocritement ou candidement la face, soutiennent avec vigueur, en se fondant parfois sur les textes sacrés, que l'Islam, religion de conquête, contient tous les germes de la violence, et que l'intolérance est sa caractéristique essentielle. Les partisans de cette thèse alimentent une islamophobie qui est elle-même extrêmement dangereuse, puisqu'elle prend un aspect raciste  en s'exerçant à l'encontre d'une population maghrébine, indépendamment même de toute adhésion à l'Islam, et qu'elle ne laisse entrevoir aucune autre issue que l'affrontement des communautés.

Cette réponse que l'on peut qualifier de raciste et d'islamophobe, est en définitive tout aussi hypocrite que le refus de discuter des singularités et de la place de l'Islam en France et dans le monde.

Les arguments parfois savants des islamophobes sont heureusement par la réalité et la présence en France d'une importante communauté musulmane, majoritairement modérée.

Les causes de la violence d'une petite frange de la communauté musulmane, comparée à la modération relative des autres communautés, semblent se situer non pas dans l'Islam lui-même, mais davantage dans l'injustice qui est faite aux musulmans.

Injustice au Moyen Orient, où des populations civiles sont victimes depuis des décennies des annexions et des interventions d'Israël, comme des bombardements, des occupations et des crimes des Etats Unis et de leurs alliés.

Injustice en France, avec un chômage de masse dont les premières victimes sont les Beurs, ghettoïsés dans leurs banlieues et dans les cités.

Injustice dans les médias et dans le traitement de l'information, avec une presse largement et généralement favorable à la politique des Etats Unis et d'Israël, et peu encline à montrer, à critiquer ou à commenter les guerres dont sont victimes les populations civiles du Moyen Orient.

Injustice de la société française et de l'opinion publique, obnubilées par l'appétit de consommation, par le matérialisme, par l'individualisme, et insensibles à la misère. La manifestation de dimanche dernier pour la "liberté d'expression", dans sa conception la plus dévoyée, était aussi le défilé de la trouille. De la trouille au nom de laquelle beaucoup sont sans doute prêts à accepter d'importantes atteintes aux libertés qu'ils prétendent défendre.

Perte de tous les repaires moraux, et culte de la violence dans les médias et au cinéma. Surdité avérée aux appels lancés par le pape François, par le patriarche Cyrille, par d'autres, par la conscience, pour plus de justice et de respect.

Les attentats de la semaine dernière auraient pu agir comme un électrochoc. Mais, reprenant peu à peu ses esprits, la société française donne des signes qui ne sont guère encourageants.

Les lycéens ayant refusé de participer la semaine dernière à la minute de silence organisée dans leurs établissements sont traités de "petits cons" par un grand journaliste, invité dans un débat télévisé. L'insulte peut difficilement être considérée comme une pédagogie.

La publication d'un rapport du Sénat américain sur les tortures pratiquées par la CIA dans le cadre de la lutte anti-terroriste ne soulève pratiquement aucune indignation en France où certains, réclamant déjà l'adoption d'un patriot act à la française, s'accommoderaient sans doute de quelques aménagements avec la morale si cela pouvait assurer leur sécurité.

La manifestation des "Je suis Charlie", dimanche dernier, témoigne elle aussi d'une profonde incompréhension de ce qui s'est passé, et qui ne saurait être réduit à une attaque contre la liberté d'expression.

En fait, une lutte plus efficace contre le terrorisme passe par une redéfinition de la politique étrangère de la France qui doit refuser tout alignement, et qui doit donner une cohérence à ses actions extérieures. Il est également nécessaire de "mettre le paquet" sur la question du chômage, et de prendre enfin réellement en charge toute une population de jeunes, livrés à eux-mêmes et soumis aux tentations de la délinquance et de l'extrémisme.

Mais pour cela, il faudra avant toute chose un véritable sursaut moral de la société française qui, au lieu de se bercer de mots et de slogans sur les libertés et les droits individuels, devra retrouver les valeurs que sont l'esprit de justice et de tolérance.

Vaste programme, car notre société est menacée par un mélange détonnant, constituée par une mauvaise lecture de l'Islam, une injustice généralisée, et une jeunesse désespérée, et donc manipulable.

Le gouvernement prend quelques mesures policières ou techniques, le contrôle des frontières, celui des armes en circulation ne sont toujours pas assurés. Oui, ces mesures sont sans doute utiles, mais c'est un simple cataplasme, posé non pas sur une jambe de bois, mais sur une machine infernale.










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