En définitive, la destruction par l'aviation turque d'un appareil russe, à la frontière turco-syrienne, appelle peu de contestations.
L'avion russe s'est écrasé sur le territoire syrien, la chute de l'appareil a été filmée par des cameramen turcs.
La Turquie reconnaît avoir abattu l'avion russe, se bornant à affirmer que cet appareil avait violé, pendant quelques secondes, l'espace aérien turc, et que des avertissements avaient été préalablement donnés aux pilotes russes.
La Russie soutient que le chasseur-bombardier abattu n'a à aucun moment violé l'espace aérien turc, et qu'aucun avertissement n'a été donné par la chasse turque aux pilotes russes.
Quelles que soient les réponses apportées à ces maigres questions, rien ne peut justifier le fait d'avoir délibérément abattu un appareil qui n'a à aucun moment représenté une menace pour la Turquie, et à l'égard duquel aucune procédure d'interception n'a été appliquée.
Les deux pilotes de l'avion abattu ont pu s'éjecter, mais l'un d'entre eux a été tué par les rebelles armés agissant sur le territoire syrien. Le second a pu être secouru par une équipe de commandos russes et syriens.
Comme effrayé par les conséquences du crime qu'elle venait de commettre, la Turquie a immédiatement saisi les instances de l'OTAN, réunies d'urgence à Bruxelles. Comme l'on devait s'y attendre, les partenaires américains et occidentaux de la Turquie lui ont apporté leur soutien, en réaffirmant le principe du droit de tout Etat de protéger son espace aérien, ce que personne ne songe à contester.
En Occident, la réaction est demeurée finalement assez discrète. La presse française a, sans surprise mais sans grande conviction, condamné le comportement de la Russie, laquelle a néanmoins reçu le soutien d'une partie de l'opinion publique française et de différents politiciens. Ainsi, le Front national a demandé la création d'une commission internationale d'enquête. C'est bien inutile.
L'évènement est pourtant d'importance, il marque un tournant essentiel dans la dégradation de la situation internationale, car il s'agit, pour la première fois, d'un acte de guerre commis directement et délibérément par les forces armées d'un pays membre de l'OTAN à l'égard de la Russie.
Il existe un risque important d'escalade, en raison de la poursuite des opérations aériennes russes en Syrie, dans une région frontalière de la Turquie. Si de nouveaux incidents devaient se produire, et conduisaient à des affrontements directs entre les aviations russe et turque, nous nous trouverions alors dans une situation pouvant entraîner une intervention des forces de l'OTAN.
La destruction de l'appareil russe par l'aviation turque apparaît dès lors comme une étape et un évènement capital.
Si les circonstances de cet évènement sont à peu près connues, il demeure une question fondamentale à laquelle aucune réponse ne peut aujourd'hui être apportée : la Turquie a-t-elle agi de son propre chef, ou avec l'accord et la complicité de l'Amérique? Ou, en d'autres termes, s'agit-il d'une provocation turque ou d'une provocation occidentale?
Si, en l'état, il est impossible de répondre avec certitude à cette question, une évidence s'impose : la Turquie, membre de l'OTAN, et alliée privilégiée de l'Amérique, apporte un soutien non seulement économique, mais militaire, à une rébellion islamiste que l'Occident prétend vouloir combattre.
En abattant un avion russe, la Turquie a abattu son propre jeu, mais elle a aussi jeté une lueur fugace sur le caractère ambigu des interventions occidentales au Moyen-Orient, et sur l'existence d'alliances glauques et contre nature que l'Amérique et ses affidés européens ont conclu avec d'autres puissances de la région.
En somme, la Turquie nous fait découvrir un Occident, compliqué et mystérieux.
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