Il s’agit d’un débat
entre les candidats aux primaires du parti républicain aux Etats Unis. Les
différents candidats sont alignés sur la scène d’un théâtre de Las Vegas, ils
répondent aux questions, et s’expriment sur les problèmes de sécurité et de
terrorisme. Tous surenchérissent de propositions guerrières, et insistent sur
la nécessité de restaurer l’autorité des
Etats Unis dans le monde et de lutter contre le terrorisme islamiste.
Toutes les solutions
sont envisagées et proposées, et par exemple, celles d’anéantir non seulement
les terroristes, mais aussi leurs familles (proposition de Donald Trump, candidat
indépendant aux primaires républicaines), de créer des zones d’interdiction de
survol du territoire syrien et d’abattre tout avion contrevenant, y compris le
cas échéant les avions russes (proposition de Chris Christie, gouverneur du New
Jersey), ou encore de couvrir les zones occupées par les forces de l’Etat islamique
d’un tapis de bombes, permettant de « voir si le sable peut briller
dans l’obscurité » (« to see if sand can glow in the dark » ) selon
l’aimable expression de Ted Cruz, sénateur du Texas.
Les critiques fusent à
l’encontre de Barack Obama et d’Hillary Clinton, mais aussi, parfois, à l’égard
de la politique de leurs prédécesseurs. Trump rappelle qu’il s’est toujours
opposé à l’intervention armée des Etats Unis en Irak. Paul Rand, sénateur du
Kentucky, mais aussi Ted Cruz admettent que les interventions armées en Lybie et
en Irak ont été une erreur, et que les « changements de régime »
voulus par l’Amérique ont conduit au chaos.
Donald Trump fait face,
comme il peut, aux critiques, et parfois aux sarcasmes, des candidats de l’establishment
politique. Un accrochage l’oppose à Jeb
Bush, ancien gouverneur de Floride et frère de Georges Bush Jr.
Trump s’en tire,
parfois par des pitreries, parfois par une sorte de bon sens populaire qui semble
lui réussir dans les sondages d’opinion. Il critique la débauche d’argent
public investi dans les conflits du Moyen Orient, et l’absence de tout résultat
tangible, si ce n’est un vaste désordre devenu à peu près incontrôlable.
Les débats prennent
fin, chaque candidat conclut son intervention en invoquant la place des Etats
Unis dans le monde. Trump y va de son couplet patriotique en soulignant que, quel
que soit le candidat choisi au terme des primaires républicaines, il sera de
toute façon plus qualifié pour défendre le pays que l’actuel président
américain.
Une curieuse impression
s’empare de moi. Certes, je ne suis qu’un simple observateur, vivant en Europe.
J’ignorais, ou peut-être ai-je perdu de vue, que les Etats Unis avaient perdu
leur rang dans le monde. Pour moi, l’Amérique restait incontestablement la
première grande puissance, et je ne songeais pas à contester à l’Amérique ni
son autorité, ni la place, la première place, qu’elle occupe dans le monde,
aussi bien sur le plan militaire et économique que scientifique.
Toutefois,
une idée m’effleure. Oui, de fait, les Etats Unis ont perdu leur première
place, mais ce n’est ni dans le domaine économique, ni sur le plan militaire. En
réalité, l’Amérique a perdu son magistère moral, elle se sent critiquée, mal
aimée ou détestée à peu près partout, et peut-être même chez les alliés dociles
qu’elle s’est trouvée en Europe. C’est sans doute cela que les candidats
républicains, de façon plus ou moins consciente ou inconsciente, ressentent.
C’est pour cela que
Trump, comme il le déclare, veut faire de nouveau « respecter l’Amérique ».
Un
peu plus tard, dans la soirée, je commence à regarder une émission sur la
chaîne russe RTR Planeta.
Il
s’agit d’un reportage sur les armes de destruction massive, qu’il s’agisse des
armes atomiques, chimiques ou biologiques. Dans un hôpital vietnamien, un
médecin russe tente de soigner les enfants qui naissent avec des malformations,
conséquence de l’utilisation par les Américains au cours de la guerre du
Vietnam de l’agent Orange, un produit chimique
destiné à la défoliation. Les images sont horribles, insupportables. Je me mets
à détester l’Amérique, et je change de chaîne.
Je
regarde sur une chaîne parlementaire un débat concernant la situation politique
française.
Un chercheur intervient. Interrogé sur les capacités de Hollande, il
se réfère à deux émissions récentes, consacrées à Chirac et Mitterrand, et
finit par dire que s’agissant des présidents de la République, la question de l’intelligence
ne se pose pas, car à un tel niveau de responsabilité politique, les présidents
sont tous, forcément, intelligents.
Je
n’écoute pas la suite de la réponse et du débat, et je quitte l’émission. Mais
je suis rassuré, puisque la question des capacités de nos présidents ne se pose
pas, et que l’essentiel est de parvenir à se faire élire. Je ferai donc
confiance à la sagesse du peuple, et je sais que la prochaine fois, je pourrai,
moi aussi, sans état d’âme, voter Marcel Barbu.
Jeudi matin, 7 heures.
J’écoute le programme de France Inter.
Le scandale du jour, ce
sont les photos publiées sur Twitter par Marine Le Pen, montrant les exactions
commises par l’état islamique, et notamment, la photographie du corps décapité
d’un journaliste américain. Inadmissible ! Intolérable ! Il n’y a pas
de mot de condamnation assez dur. Pourtant, la veille, Le Monde s’était félicité
de la publication et de la diffusion par Human Rights Watch de photos montrant
les corps suppliciés de victimes des crimes imputés au régime d’Assad. Human
Rights Watch , c’est une association de défense des droits de l’Homme, fondée
aux Etats Unis, et financée notamment par Soros. Le Pen, c’est différent. Elle
dirige un parti d’extrême-droite, désormais présenté comme la deuxième face,
avec l’Etat islamique, d’un même problème. CQFD.
La rédaction a invité
Pierre Bergé, président du conseil de surveillance du journal Le Monde, et un écrivain, Christine Angot, qui, paraît-il, aurait pris
position contre Houellebecq à la suite de la parution de son dernier livre, "Soumission". Des
auditeurs téléphonent pour poser des questions. Il est question du mariage
homosexuel, du Front national, de l’identité française, des modernistes et des
antimodernistes. Je ne comprends rien à ce que disent les uns et les autres.
Pourtant, c’est en français. Je termine mon petit-déjeuner.
10 heures. Conférence
de presse de Vladimir Poutine, en direct, sur Rossia 24.
Poutine répond à de
nombreuses questions, posées par les journalistes russes et étrangers. Les
questions fusent, sur l’économie, les sanctions, la hausse des prix, la
situation des retraités, sur la corruption, sur la situation internationale, sur
l’élection d’un nouveau président américain en 2016, sur la Turquie, l’Ukraine,
la Syrie, la situation internationale, sur les enfants du Président. Poutine, pédagogue, répond de façon
apparemment spontanée à toutes les questions, il donne l’image d’un président
aux commandes. Le président russe annonce que la Russie soutiendra non
seulement l’armée syrienne, mais également
les rebelles luttant contre l’état islamiste. Poutine confirme également le
désir de dialogue et de coopération de la Russie avec les Etats Unis, quel que
soit le nom du futur président américain. Rien de bien nouveau, somme toute.
A l’heure où je vous
livre ces commentaires, la conférence de presse n’est pas terminée. J’ai faim. C’est
bientôt l’heure du déjeuner. J’abandonne
mon poste d’observation. Ma journée de travail est terminée. Je vais à présent
pouvoir méditer sur toutes ces informations.
***
La radio et la télévision
sont faites pour ceux qui ne lisent pas. C’est même ce qui en fait leur
importance. Les grands médias forment l'opinion
publique, et peuvent à leur aise diffuser l'information ou la propagande.
La liberté de la presse s’exprime sans doute, mais rarement, dans les journaux
ou à la télévision. Si je veux continuer à m’informer, il va me falloir lire,
et non pas zapper. A défaut, et comme aurait pu le dire Geneviève Tabouis, je devrai m'attendre à ne pas savoir ....